Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/267

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— Que je me fasse renard ! dit Perrin, inquiet de changer de peau.

— Au figuré ! reprit Aristide. Crois-tu pas qu’il faut entrer dans la peau d’une bête ? Tu as déjà bien assez de la tienne. Voyons, tu connais Germain de Villevieille, Émile Germain de la sous-préfecture ? Écoute, c’est important, tout va reposer sur toi. Tu resteras dans le chemin, entends-tu bien ? Tu feras attention si tu ne vois pas un jeune homme rôder autour de la maison ; tu te rappelleras bien tout ce qu’il fera, et s’il voulait passer par-dessus le mur, tu appelleras le jardinier ou tu sonneras de toute ta force. Comprends-tu bien ?

— Oui, oui.

— Tu vas y aller tout de suite ; en revenant de la messe, je viendrai voir comment tu montes ta garde.

— Et si le jeune homme ne vient pas ? Tant mieux ! Tu me le diras. Allons, en route ! »

Perrin, très satisfait, vint prendre son poste avec un zèle tout chaud. Il se promenait gravement dans le chemin, regardant à un quart de lieue alentour, pour ne pas se laisser prendre par l’ennemi, et ne faisant aucune attention aux jeunes paysannes qui passaient de temps en temps.

Émile se remettait cependant rapidement, il pouvait marcher seul, et il combina, ce dimanche-là, de revenir aux Tournelles, pensant à la fête qu’il aurait en revoyant la route, le bois, le mur et la fenêtre de la petite chambre. Il espérait croiser la voiture de madame Gérard, où serait Henriette allant à la ville, et courir derrière pour arriver au moment où elle descendrait.

Il partit, profitant d’un instant où sa mère était occupée. La route franchissait deux ou trois ondulations de terrain, qui masquaient successivement la vue des Tournelles et excitaient une impatience nerveuse chez lui. Il examina le pays avec une sorte d’inquiétude, comme si on avait dû en changer d’aspect, heureux de constater pas à pas que tout était à la même place. Enfin le massif vert du bois des Tournelles apparut toujours le même, triangulaire, sombre ; il s’engagea dans un petit sentier tout couvert par les branches des jeunes arbres et rempli de hautes herbes, accompagné par les bour-