Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/278

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deux heures ils ont épuisé tout leur rendement de souffrances, et ils en sont reposés par d’autres sensations auxquelles leur esprit est ouvert.

Henriette étudiait donc ses parents et leurs amis, pour bien se définir leur sincérité, ne s’affranchissant pas encore d’un certain respect envers leur autorité. Cependant, elle projetait d’échapper à la domination qui pesait sur elle, parce qu’elle en trouvait indignes ceux qui l’exerçaient. Et il était évidemment impossible qu’elle ne discutât pas et ne mésestimât pas la vie et le caractère de son père et de sa mère. Aussi se disait-elle que, lorsqu’elle serait maîtresse de ses actions, elle les rappellerait à l’humilité.

On la forçait à se replier beaucoup en dedans, à prendre la mesure de son intelligence, de sa fermeté, de sa volonté, qu’elle sentait se développer. Comme on lui présentait toujours et violemment l’idée du mariage, Henriette ne pouvait s’empêcher, par moments, de calculer ou prévoir ce qu’elle devait faire, si elle se mariait ; d’admettre la possibilité de son union avec Mathéus et de préparer une règle de conduite envers lui.

Ces méditations s’envolaient ensuite comme des nuages gris devant le soleil, lorsque l’image d’Émile se levait tout à coup. Puis, à leur tour, l’espérance, la lumière, le brillant, disparaissaient, et la tristesse, les larmes, un silence que rien ne pouvait briser, venaient s’emparer des premières ou des dernières heures de la journée.

De son côté, Mathéus était fort agité. Il aimait Henriette avec une convoitise trop égoïste, pour qu’il eût jamais le bon sens ou la générosité de ne plus la persécuter et de renoncer à elle. Néanmoins, il ne savait « sur quel pied danser », se voyant tantôt bien, tantôt mal accueilli. Mathéus ne venait pas tous les jours, retenu par ses conciliabules avec madame Baudouin, qui lui recommandait bien de faire le bonheur d’Henriette. Dans son absorption, il n’imaginait même pas de pénétrer l’histoire d’Émile. Quelquefois le président se trouvait avec lui chez la grosse femme, et la conversation roulait exclusivement sur les moyens d’être agréable à Henriette par des cadeaux, des noces pompeuses, une vie splendide.