Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/279

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Mathéus, à ce sujet, consultait tout le monde, surtout le curé.

« C’est un bien excellent homme, disait la grosse Baudouin : Henriette est bien tombée.

— Il ne songe qu’aux babioles, répondait le président, mais peut-être est-ce de la finesse. »

Corbie ne voyait plus Mathéus, dont la joie et les espérances lui déplaisaient. Mathéus n’y fit pas attention.

Le vieillard s’ingéniait à montrer son bon goût. Tous les jours Henriette recevait de sa part un bouquet de fleurs rares achetées au chef-lieu du département chez un pépiniériste célèbre. Ces fleurs arrivaient tantôt dans des corbeilles de paille fine, tantôt dans de petites jardinières ou boîtes en bois sculpté, en marqueterie, en porcelaine, de façon à fournir Henriette, ensuite, de boites à ouvrage, de vide-poches, de cassettes, lorsque les fleurs seraient passées. Chaque présent coûtait au moins cent francs à Mathéus.

« Vois-tu, disait madame Gérard à Henriette, comme l’homme de Paris se révèle ! »

Henriette était flattée et contrariée de ces recherches aimables, et flottait indécise sur l’accueil qu’elle ferait à Mathéus, à sa première réapparition, éprouvant toujours un remords à être brusque, violente, sarcastique, envers cette grande ombre humble, soumise, prévenante.

Mathéus reparut le 4 juin, pour la troisième fois seulement depuis le 28 mai, pliant les épaules comme un homme qui va être battu. Henriette lui accorda un demi-sourire, et le vieillard se redressa : un souffle de la bouche d’Henriette le courbait ou le relevait.

Mathéus s’écria : « Ah : vous n’êtes pas froide et triste aujourd’hui ! J’aime tant à vous voir un peu…

— Aimable, n’est-ce pas ? » dit Henriette. Cependant elle eût préféré lui répondre : « Si vous ne reveniez plus, je ne serais jamais froide et triste. » Mais elle n’était pas disposée à lutter.

« Aimable ! dit Mathéus, c’est moi qui dois regretter de ne pas l’être…