Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/281

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et la jeune fille sentit sourdre la haine dans sa poitrine. En même temps elle avait peur, sans savoir pourquoi.

« Le bonheur d’appuyer votre bras sur le mien, de vous parler de bien près, sans que vos yeux soient menaçants. Vous avez été bien méchante envers moi, sans vous douter, peut-être, que vous me faisiez beaucoup de mal. Voulez-vous que je vous avoue une chose qui vous paraîtra ridicule ? j’en ai pleuré comme un enfant. »

Henriette éprouvait toujours cette singulière sensation de crainte, de faiblesse et d’indignation. Il lui semblait que cet homme ne la lâcherait plus, l’ayant ainsi prise par le bras. Chaque jour la persévérance de ses adversaires gagnait du terrain, et elle en perdait courage. Aurait-elle cru, cinq ou six jours auparavant, qu’elle donnerait jamais le bras à Mathéus ? Et cependant elle venait de le faire à peu près de son plein gré. Elle fut saisie de remords et de terreur, s’imaginant Émile caché dans le massif et qui la voyait avec le vieillard ; elle avait envie de demander grâce à celui-ci.

« Ah ! si vous pouviez me connaître ! continua Mathéus. Mais le voudriez-vous seulement ! Pour m’apprécier, il ne vous faut qu’un peu plus de bonté envers un être qui vous chérit mieux que qui que ce soit ! »

« Et Émile ! » se disait la jeune fille.

« Vous êtes trop sceptique, reprit le vieillard, qui, de son côté, n’osait la regarder, craignant de retrouver un visage hautain et cruel. Me croirez-vous, ajouta-t-il, si je vous dis l’admiration et le respect que j’ai pour vous ? On ne peut vous aimer davantage. Enfin, reprit-il, vous pensez donc devoir être très malheureuse avec moi, uniquement parce que je vous aime ? Mais, je vous le jure, vous ne le serez pas. »

La naïveté passionnée du vieillard inquiétait Henriette et la froissait.

« Et, dit encore Mathéus, je vous sais un esprit élevé, une intelligence supérieure, aussi je serai joyeux si vous voulez bien vous servir de moi comme d’un ministre. Ma plus grande fierté est d’être votre mari pour me soumettre à vos volontés. Personne ne vous sera aussi dévoué ; je me remets entre vos mains comme une chose qui vous appartient.