Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/287

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La jeune fille se dressa si rapidement et sa figure se contracta tellement, qu’Aristide recula, croyant qu’elle allait le tuer.

Elle hésita une seconde, puis, le saisissant par le bras, l’entraîna jusqu’à la porte en criant d’un ton que son exaspération rendait rauque : « Sortez ! sortez ! Je vous défends de jamais me parler ! »

Aristide dégagea son bras, mais, intimidé, il ouvrit et sortit. Dans le corridor, il retrouva de la rage d’avoir été chassé, et revint donner un énorme coup de poing dans la porte, ne pouvant se venger sur un objet qui fût plus proche.

Henriette reparut sur le seuil de sa chambre, et Aristide se sauva.

Jamais la jeune fille n’avait entendu de reproches si crûment brutaux, et, pour comble de contrariété, ils étaient mêlés de vérités. Elle descendit comme une flèche, à l’heure du dîner, pour prendre une revanche terrible et les maltraiter tous.

Pierre avait annoncé à Mathéus sa grande nouvelle de la charrue. Il était joyeux et disposé à fêter le jour de cet événement par un gai dîner. Mais son désir fut entravé par la violence d’Henriette.

Aristide regardait sournoisement sa sœur, cherchant quelque malice méchante contre elle. Mathéus avait la figure longue. Madame Gérard montrait une affliction résignée. Elle avait imaginé le système de l’affliction à outrance pour agir sur sa fille.

Le vieillard, assis selon l’habitude auprès d’Henriette, désolé qu’elle semblât ignorer qu’il se tînt à son côté, et remarquant qu’elle lançait quelques mots ironiques contre les mangeurs et le manger, sujet lancé en avant par Pierre, Mathéus dit à la jeune fille : « Vous voilà encore dans votre état nerveux ; ayez confiance dans l’avenir, calmez-vous, ne cherchez pas à vous tourmenter…

— Je cherche, dit-elle d’une voix vibrante, nette, qui fit tressaillir tout le monde, je cherche des gens de cœur et d’intelligence, et j’ai le chagrin de n’en pas trouver. »

Madame Gérard se renversa en arrière et ferma les yeux,