Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/288

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ainsi qu’une personne qui souffre horriblement. On cessa de manger. Aristide rougit plus que s’il avait reçu un soufflet. Pierre regarda sa femme, puis sa fille, puis le président, puis Mathéus, que l’impertinence pouvait, après tout, seul concerner.

Le vieillard comprit que la foudre allait gronder, et il essaya de la détourner ; il répondit à voix basse : « Vous êtes vraiment sans pitié ; pourquoi toujours être acharnée contre moi ?

— Parce que vous êtes peut-être le plus faux de tous, » répliqua Henriette.

Elle eut la compassion de prononcer assez bas ces dernières paroles.

« Oh ! me juger ainsi ! dit-il consterné, effaré.

— Eh bien ! j’ai été trop loin ! reprit-elle ; mais croyez-vous donc, ajouta-t-elle tout haut, que je sois sur des roses ! »

Son accent était ironique, plein de bravade et d’amertume. On se tut ; personne ne releva le gant. Le bruit des fourchettes et des assiettes résonna seul. Les têtes se courbaient vers la nappe.

Enfin, madame Gérard, plus virile, rendit la vie à toute la table par des dissertations culinaires.

Henriette était satisfaite et excitée par ce premier succès. Après le dîner, dans le salon, le curé vint lui dire : « Mademoiselle, eh bien ! le chagrin de vos parents ne vous touche pas ? Une personne accomplie ne devrait semer que la concorde et le bonheur autour d’elle.

— Combien donc gagnez-vous à mon mariage ? » demanda Henriette, le frappant en pleine poitrine ; car le curé comptait bien un peu sur madame Mathéus pour enrichir sa fabrique, et madame Gérard lui avait promis de beaux présents pour le jour des noces.

Henriette lui épargna l’embarras de se défendre en s’en allant d’un autre côté. Le pauvre curé semblait avoir le front plié sous un casque de plomb, il ne le relevait plus.

Du reste, en le frappant, Henriette avait atteint tout le monde.