Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’idée qu’elle avait peut-être de grands torts était entrée dans son cerveau. En analysant en chimiste tous les discours tenus devant elle, Henriette ne put en extraire rien qui prouvât autre chose qu’un calcul naïvement intéressé. Mais on ne le lui cachait pas, et ce calcul était bien légitime. On lui avouait franchement qu’on trouvait la fortune de Mathéus très désirable et qu’on tenait à faire une bonne affaire. Pourquoi non ? Il n’y avait rien de tors et d’excessif là-dedans.

D’ailleurs, point de nouvelles d’Émile ! Personne n’en prononçait le nom ! Était-il absent ? marié lui-même ? quoi encore ? oublieux !

En passant, Henriette écoutait parfois ce que disaient les domestiques à la cuisine, et ils ne parlaient jamais d’Émile, eux non plus.

Et cependant ces obsessions, ces mécomptes, ce silence, ne suffisaient pas à la convaincre qu’il fallait cesser d’espérer en Émile.

Pour désincruster une pierre fortement enchâssée, il faut la déloger petit à petit d’un coin, puis d’un autre. Ainsi, l’image et l’affection du jeune homme étaient si fortement enserrés dans le cœur d’Henriette, que, même à demi arrachés, ils y tenaient solidement.

La jeune fille songea à consulter l’oncle Corbie, qui ne se mêlait point du grand combat, et qui avait toujours eu de l’amitié pour elle.

Dans la chambre voisine, le curé sonnait des fanfares aux oreilles de madame Gérard.

« Je suis fort content de mademoiselle Henriette, dit-il, elle est à nous !

— Pourvu que cela dure ! répliqua madame Gérard, qui ne croyait pas au succès du prêtre doux et flatteur. Henriette passe du noir au blanc en une heure, ce qui me donne beaucoup plus d’ennuis que si elle ne variait jamais. Au moment où je la crois ramenée, tout est à recommencer.

— Oh ! reprit le curé, traducteur infidèle, elle m’a dit qu’elle cédait à mon influence !

— J’en suis étonnée, ajouta madame Gérard ; je redoute un piège ou une moquerie. »