Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ne fais pas la grimace, ajouta-t-elle, c’est la vérité. Tu es un fou, un exalté, un entêté, et tu m’as fait peur quand tu m’as dit qu’il pourrait arriver malheur. Vois-tu bien, cher enfant, tu connais à peine mademoiselle Gérard ; tu n’as pas eu le temps de t’y attacher. N’y pense plus, éloigne-t’en. Cela se peut sans inconvénients. Au besoin, demande un congé de quinze jours, et va chez ma sœur, à Château-du-Haut.

— Je ne puis pas décrire ce qui se passe en moi, répondit Émile. Seulement, quand je pense à sa robe grise, j’ai envie de faire des cabrioles et je vois le printemps partout. Si elle me disait de me jeter à l’eau, je le ferais avec une joie telle que je n’en ai jamais eu de pareille pour aucune des choses les plus agréables qui me soient arrivées.

— Oui, et que la mère reste dans son coin, voilà la morale, » dit madame Germain, un peu attristée de ce qu’il existait une femme que son fils aimait plus qu’elle.

Cette parole consterna Émile, qui ne s’y attendait pas.

« Oh ! dit-il d’un air suppliant, ce n’est pas la même chose. » Et il ne sut rien dire de plus.

« Mon pauvre cher enfant, reprit madame Germain, crois ta mère. Les autres femmes cessent de vous aimer. Au moins avons-nous cet avantage sur celles qui vous enlèvent d’auprès de nous. Va seulement passer quinze jours chez ta tante ! »

Madame Germain pensait à écrire à sa sœur pour la prier de mettre Émile en relation avec la fille de quelque voisin qui pourrait effacer l’image de son Henriette. Mais Émile mit à néant ce beau projet.

« Non ! non ! s’écria-t-il, je n’ai rien à faire là-bas. Il ne manque plus que j’aille trahir Henriette !

— Mais, dit madame Germain, que parles-tu de trahir ! Que s’est-il donc passé entre vous déjà ?

— Oh ! rien, dit en rougissant Émile, qui vit une supposition injurieuse à son honneur dans cette phrase.

— Enfin, peu importe ! reprit la mère, es-tu sûr qu’elle ne te trahira pas, puisque trahir il y a ? »

Émile ne pouvait supporter la moindre pensée défavorable à Henriette : aussi brisa-t-il la conversation comme la précédente, et comme toutes celles qu’il eut plus tard avec ma-