Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/312

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lade, vous me signalez à la police comme un être dangereux !

« Vous dites partout, j’en suis sûr, que vous aimez votre fille. Il est même possible que vous le croyiez. Soyez donc bien certaine que vous ne l’aimez pas au contraire, vous n’aimez que l’argent et vous n’appréciez que les convenances sociales ; c’est tout.

« Je regrette, je vous l’avoue, de n’avoir pu vous faire souffrir dans votre vanité, car il eût été bien juste que chacun eût sa part. Je ne vous dirai donc pas tout ce que je pense de vous. Puissiez-vous éprouver seulement une partie des rudes moments que vous m’avez fait passer, ou puissiez-vous comprendre enfin la véritable portée de ce que vous avez fait. Vous seriez assez punie.

« Il est vraiment fâcheux qu’il y ait des femmes comme vous. Elles découragent des autres. Vous n’avez rien de ce qu’il doit y avoir de bon de bienveillant, de doux et de gracieux dans les femmes. Quelqu’un vous a desséchée et vous a ôté toutes vos qualités. Tant pis pour nous, Madame, car vous êtes la seule à n’en pas souffrir. »


Cette épître incorrecte et trop juvénile n’était pas propre à plaire.

Madame Gérard reçut la lettre avec assez de dédain ; elle y vit de nouvelles insolences et ne put comprendre le sentiment qui avait poussé Émile.

Elle jeta le pauvre chiffon de papier au feu en disant :

« Quel petit sot ! Je le ferai renvoyer de sa place, s’il continue. »

Cependant, cela la décida à tenter le dernier assaut contre Henriette ; après quoi on mènerait le mariage, à tous risques, le plus vite possible.

Madame Gérard hésita à aller elle-même dans la chambre d’Henriette, ou à la faire venir. Elle choisit ce dernier parti, en réfléchissant que la solennité d’une comparution frappait davantage. En effet, Henriette fut prise d’ennui et d’impatience à cet appel ; elle se demanda avec effroi si ces luttes dureraient longtemps, et elle se sentit très lasse, tellement lasse, qu’elle avait envie de prier qu’on la laissât, qu’on ne