Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/314

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— Oui, répéta madame Gérard, mais peu importe le passé. Je pense que tu sais apprécier tout ce que nous avons fait pour toi.

— Certainement, dit Henriette.

— Tu n’as pas l’air bien convaincu. »

Henriette était mécontente de ces attaques. Elle se disait que, puisqu’on ne voulait pas voir ce qu’elle avait de bon, il était inutile de montrer aucune tendresse, et elle prit un visage plus froid, plus raide. Madame Gérard le remarqua.

« Je vieillis, reprit-elle, variant ses expérimentations, je suis affaiblie. Toi, tu es forte ; tu es en âge de mener une maison, de me remplacer. Je voudrais pouvoir compter sur toi. Ce n’est pas peu d’avoir élevé un fils et une fille, d’avoir augmenté la fortune de votre père. Il est temps que je me repose un peu à mon tour et que d’autres prennent la place. Je n’ai rien fait dans ma vie qui n’eût pour but l’avenir et le bonheur de mes enfants. »

Henriette écoutait religieusement cette profession de conduite.

« J’ai cherché, dit madame Gérard, à leur donner le sentiment du devoir, mais on ne réussit peut-être pas dans tout ce qu’on entreprend ; enfin écartons ceci, et réfléchis que, malgré mes efforts et ceux de votre père, notre fortune n’est pas en rapport avec les nécessités de notre position dans le pays. Si nous mourions, nous vous laisserions toi et ton frère dans un état médiocre, quand vous partagerez. À présent, sept mille livres de rente pour un homme ce n’est rien, et comme dot c’est insignifiant. Quinze mille livres de rente pour toute une famille sont maigres… »

Henriette en convenait.

« Ton père a une infinité de spéculations, de grands desseins, qu’il ne peut mettre à exécution faute de ressources. Son influence dans le département se trouve brusquement arrêtée dans sa marche. Mais au fait je te parle là de choses qui ne t’intéressent peut-être pas beaucoup. »

Henriette fut plus froissée qu’elle ne l’avait jamais été de cette façon désagréable de lui exprimer qu’on la supposait