Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/315

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égoïste. Elle se détachait facilement des gens qui ne lui montraient pas de confiance. Ses yeux devinrent menaçants.

« Nous t’avons donné le temps de réfléchir, dit madame Gérard, n’imaginant pas qu’elle venait d’être maladroite, de peser ton amour-propre avec notre satisfaction. Que veux-tu faire ? As-tu de l’affection pour nous ?… D’ailleurs je ne veux pas prolonger notre conversation, cela me fatigue extrêmement. M. Mathéus est bouleversé par tes étrangetés. Nous lui avons donné notre parole d’honneur que le mariage se ferait, et nous voilà dans une singulière situation vis-à-vis de lui. Il t’aime beaucoup pourtant… mais tu repousses tous ceux qui t’aiment. »

Devant cette mère résignée, à la voix brisée, Henriette sentit sa résolution chanceler, et cependant pour tout au monde elle n’eût voulu paraître céder à une influence quelconque ; elle se raisonna, se dit qu’elle était dirigée par une force supérieure, et elle répondit : « Je voudrais savoir des nouvelles de M. Germain, ou bien réfléchir encore.

— Nous t’en avons donné le temps, répéta madame Gérard.

— Il n’y a pas quinze jours passés, dit Henriette.

— Comme tu voudras, reprit madame Gérard, moi je ne t’en parlerai plus jamais ; mais j’y gagne d’être éclairée sur tes sentiments. »

Henriette se taisait.

« Quel cœur sec ! » murmura madame Gérard.

Henriette sembla ne pas entendre, elle fit un pas pour se retirer, et, voyant que sa mère était anéantie et ne la retenait pas, elle quitta la chambre.

Une saignée ne l’aurait pas plus fatiguée ; elle se mit sur son lit, n’ayant plus conscience de ses déterminations. Désolée de résister à sa mère, désolée de manquer de parole à Émile, accablée de ses continuelles incertitudes ; désirant ardemment la tranquillité, cherchant si elle ne la trouverait pas dans le mariage, qui ne pouvait lui apporter de pires journées que celles qu’elle passait ; puis, songeant à Mathéus, un frisson la saisissait, et jamais il ne lui paraissait possible de subir cet