Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/339

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nutes rapides comme la pluie fussent venues la presser, la rendre haletante !

Elle se disait : « Fuir ! et après ? Je le retrouverai, mais comment ? avec qui ? Si sa mère me renvoie, s’il ne veut plus de moi ! »

Elle regardait la bougie, les murs de sa chambre : « Ne dois-je pas quitter la maison ? Si je me marie, sais-je ce qui arrivera, où j’irai, d’ailleurs ? »

Son lit lui paraissait dur, les meubles laids, ses vêtements odieux : « Je veux changer : que puis-je y perdre ? Tout ce qui me rappelle ce monde m’est insupportable. Advienne que pourra, je serai toujours libre. D’ailleurs il y sera, il m’épousera.

« S’il n’y est pas ? pensait-elle. Peu importe ! Ils me font étouffer ; ce vieux être est odieux, stupide, mortel à voir.

« Pourquoi continuer à me rendre malheureuse ? Il vaut mieux prendre une grande résolution. Il faut penser à soi. Si je reste, je suis obligée d’épouser cet homme. J’ai un peu d’argent. Je vivrai comme je pourrai, je me ferai servante, plutôt. Si je me sauve, ils seront peut-être découragés et renonceront à ce mariage. Je dois en finir. Je pressens je ne sais quel malheur en épousant ce vieux Mathéus. La plus grande prudence est peut-être dans l’imprudence. Si je trouve Émile, le ciel m’aura servie. Si je ne le trouve plus, tout m’est indifférent. Je puis du reste me tenir cachée quelques jours. On me cherchera, on sera forcé de congédier Mathéus : alors, je reparaîtrai. J’irai de moi-même au couvent encore. Cela peut se faire ! Ils m’effrayent trop avec leur mariage ; il y a des moments où la tête me tourne ; je serais capable de me laisser entraîner.

« Il y a aussi une gloire dans l’amour. Une fois hors d’ici, maitresse de moi, je saurai me conduire, je me ferai professeur de musique, je me tirerai d’affaire !

« Si j’en viens à les détester, c’est qu’ils l’ont voulu. Ils m’ont trop fait souffrir depuis quinze jours. Ma mère n’a pas été bonne. On ne m’aurait pas trouvé en quatre jours un mari, si on n’avait pas voulu me séparer entièrement d’Émile.