Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/343

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— Tu n’as que ce mot-là aux lèvres, dit madame Germain.

— Est-ce que ça a du courage, de la force ? Est-ce que ça sait supporter le plus petit désagrément ? Est-ce que ça ne vous trahit pas pour un billet de banque ? s’écria Émile. Si ça n’a pas ses aises, si ça ne doit pas toujours danser, rire, bien manger, dormir, ces petites filles bien élevées, ah ! ça se fatigue, ça s’ennuie, ça ne peut rien sacrifier à quelqu’un qui se mettrait au feu pour elles !

« Je voudrais la voir dans un bois, par la neige et la nuit, sans châle, ne sachant si elle mangera ni où elle couchera, et lui faire bien comprendre qu’il faut des sacrifices dans la vie. Je voudrais la traîner huit jours, comme les femmes du Petit-Faubourg, jambes nues, en jupon déchiré, sans linge, avec d’énormes charges de bois… et je la ferais mourir de fatigue et de chagrin !

— Tu es fou, dit madame Germain, qui, pour défendre les femmes, ajouta : Eh ! sais-tu si on la marie de son plein gré ?

— Est-ce qu’on marie jamais une fille malgré elle ? s’écria le jeune homme. Elles le disent pour se poser en victimes et attraper quelque homme loyal et crédule ; celle-la aussi posait en victime, et elle était grasse et bien portante. C’est comme ça que ça se fait ! »

Dans le système qu’employait madame Germain, il ne devait pas entrer de phrases comme celle qu’elle venait de laisser échapper ; la pauvre femme regrettait de ne pas lui avoir dit plutôt : « Calme-toi, n’y pense donc plus, laisse-la pour ce qu’elle vaut. » Elle craignait de réveiller l’espoir du jeune homme et se mordait les lèvres de son imprudence. « Heureusement, pensa-t-elle, Émile était trop furieux, il l’a pris du bon côté. »

« Oui, reprit Émile, c’est charmant et très divertissant de faire une promesse ; mais il est si difficile de la tenir ! il faut y penser, déployer un peu de constance, de résolution. « Ah bien ! tant pis pour lui, il s’arrangera ! Je ne le connais pas moi, ce petit monsieur, ce petit pauvre ! » Voilà ce qui s’est passé en elle, j’en suis sûr. Je ne désire qu’une chose, la re-