Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/357

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« Ah ! c’est donc fait ! s’écria-t-il.

— Plaise à Dieu que personne ne s’en repente ! dit-elle.

— Pourquoi ? Nous sommes tous au comble de nos vœux ! » répliqua madame Gérard.

Le repas dura cinq heures, un peu désordonné à la fin et néanmoins froid, sans gaieté.

La soirée s’acheva au milieu de régals de sirops, de glaces, de gâteaux.

Mathéus avait fait venir des musiciens. On s’occupa surtout à manger. Trousseau et corbeille étaient de nouveau étalés.

À dix heures on partit. Il fut décidé qu’il était trop tard pour que Mathéus emmenât sa femme à la Charmeraye. Les époux restèrent à coucher aux Tournelles.

Henriette se demandait si elle entrerait dans le lit de Mathéus. À ne suivre que son instinct, elle se fût sauvée à cent lieues ; mais elle réfléchit. Son bon sens s’éclaircissait. Elle se résolut à ne point se séparer la nuit de son mari. Elle voulut accepter le mariage tout entier, avec convenance et dignité, puisque le sacrifice était fait.

Henriette se dit d’ailleurs qu’il fallait dominer son mari, et qu’en conséquence il y avait des concessions inévitables.

Elle entra dans le lit avec une froide résignation, et le lendemain elle se réveillait auprès de Mathéus.

Ce fut pour elle une action immense de sa volonté, après laquelle elle se sentit sûre d’elle-même. D’ailleurs, elle reconnut à la tendresse insensée du vieillard, qu’il était dorénavant dans sa main plus que jamais.

Toute femme intelligente est obligée de faire intervenir la ruse dans le mariage, et de rechercher quelle puissance peut résulter pour elle de la passion d’un homme, et comment elle maintiendra cette passion et cette puissance.

Voilà à quoi pensait Henriette en se levant et en considérant Mathéus, comme un mur qu’on toise, tandis qu’il était couché, flétri, fatigué, souriant par grimaces et extasié, dur spectacle pour la jeune femme !

Le matin de ce même jour du 18 juin, Émile dit à sa mère :