Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/39

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— Mais vous ne savez pas qui c’est, dit Émile d’un air narquois.

— Oh ! je ne tiens pas à le savoir… cela ne me servirait pas beaucoup, je crois.

— Oh ! en effet, dit Émile, mais cela pourrait peut-être vous déterminer à me donner le conseil que je vous demande.

— Mais, dit Henriette, ce n’est pas à mon âge qu’on peut donner des conseils sur une chose aussi importante. Il faudrait que j’y réfléchisse.

— Enfin, reprit le jeune homme, je vois que vous personnellement, vous êtes ennemie du mariage, et que vous pensez qu’il ne faut jamais se marier…

— Je ne dis pas cela.

— Alors, dit Émile, il a dû être question déjà dans votre famille de vous faire passer aussi par ce chemin-là. Vous avez bien dû voir quelques prétendus.

— Oh ! non, jamais ! s’écria vivement Henriette, il n’en a jamais été question.

— Eh bien ! si par hasard il s’en présentait un, est-ce que vous lui conseilleriez de se retirer ? »

Henriette était dans un embarras divin ; elle jouissait de se laisser forcer petit à petit à avouer ses chers désirs.

Elle ne répondit pas, afin que M. Émile, avec tous ses détours, fût obligé d’arriver front découvert.

« Vous ne vous en soucieriez pas beaucoup ! » dit Émile, recommençant à avoir peur et devenant beaucoup plus grave, car Henriette restait immobile et ne disait rien. Le jeune homme ne pouvait même voir son visage.

« Ainsi, Mademoiselle, reprit-il d’une voix émue, il ne faudrait pas songer… à vous demander en mariage… »

Il attendit quelques secondes, ne voyant plus rien, pris de vertige… Il sentit enfin la main d’Henriette serrer doucement la sienne, et la jeune fille répondit d’une voix basse et faible, mais bien distincte, bien douce :

« Si ! »

Émile était comme un condamné à mort tout à coup gracié. Dans l’élan de sa joie, il saisit Henriette dans ses bras et l’embrassa comme un fou.