Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi le germe d’une aventure funeste qui se préparait ce jour-là.

Madame Gérard continuait « C’est que l’homme intérieur domine l’homme extérieur. Voyons, par exemple : tenez, comme une lumière qui rend transparentes les parois d’une lanterne.

Cette phrase fit les délices de l’auditoire ; il y eut un murmure véritablement flatteur pour l’improvisatrice. Et pourtant, si Henriette se fût trouvée là, elle aurait désorganisé ce triomphe, car elle avait lu le matin, dans le journal, le discours de madame sa mère.

Corbie, plein d’impatience, s’écria : « Et quel caractère a-t-il, cet homme ? » sans qu’on pût savoir s’il voulait parler de l’homme intérieur ou de l’homme extérieur.

« Attendez, reprit sa belle-sœur en souriant, cette illumination dont nous parlons provient de la nature des idées qui occupent cet homme de 38-56. Les idées jeunes, gracieuses ou fougueuses, ont une phosphorescence qui subsiste toujours. »

Cette hauteur de prétentieux ne fit pas sourciller un front ; on trouvait cela toujours très remarquable, et on l’écoutait comme un solo dans un orchestre.

« Cette phosphorescence demeure d’autant plus vive qu’elle surgit dans les premières obscurités de l’âge mûr, de la vieillesse même, et cela en raison du contraste. Ainsi ces caractères aiment les oiseaux, les fleurs le coucher du soleil, toutes choses qui constituent le gracieux de la vie.

— Oui ! » dit Corbie avec une profonde conviction.

De toutes parts s’élevèrent des « Comme c’est vrai ! Quelle finesse d’observation ! On devrait écrire cela ! »

« En même temps, dit madame Gérard, ils aiment le bruit, le mouvement, les aventures, les récits de batailles, les romans rudement taillés ; c’est la partie exaltée de leur nature, et ils y joignent la simplicité, c’est-à-dire l’absence de manies, la facilité à vivre, la bonne humeur ; ils ont l’expérience, la pratique de l’existence, la bonté ; ce sont peut-être les meilleures organisations. »