Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/46

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Le pauvre visionnaire Corbie se tordait de plaisir sur sa chaise, en entendant faire ainsi ce qu’il appelait son éloge.

Quand on trouve des diamants, on les enferme soigneusement ; puis, soir et matin, on les contemple et on les caresse dans sa main ; Corbie renferma tout aussi précieusement en lui-même les paroles de sa belle-sœur. Il venait de se voir révéler son âme par cette femme omnisciente et omnipotente. Il se trouvait garanti, breveté excellente nature, par la mère d’Henriette. Cela le décida, certain, en s’offrant à la jeune fille, de lui offrir un être souverainement bon et agréable, dont les qualités payeraient à peu près à leur prix les talents surhumains qu’elle possédait. Cependant, il n’osa pas davantage s’en ouvrir au père ou à la mère, et il chercha pendant plusieurs jours une occasion d’entretenir sa nièce seule.

Quant à madame Gérard, elle avait deux langages : un d’apparat, dont elle se servait pour les réceptions, et un autre plus simple, plus humain, pour les affaires de famille et d’intérêt. Je dis cela pour expliquer les raffinements de causerie qui ont paru tout à coup, et qui pourraient faire croire qu’elle s’exprimait toujours de cette façon ambitieuse et professorale.

Du reste, toute la colonie des Tournelles vivait à ce moment dans une grande activité d’esprit et de mouvement.

Il était arrivé depuis six mois à Villevieille une madame veuve Baudouin, femme assez riche, originaire de la ville, et qui s’y réfugiait un peu en souvenir de son enfance qui s’y était écoulée, et beaucoup pour être la première dans cette petite ville. Ses trente mille livres de rentes lui assuraient, en effet, une incontestable prééminence. C’était une grosse femme, d’un âge assez mûr, sans méchanceté et sans bonté, grandement insignifiante, à qui il fallait de la société autour d’elle, et une société un peu soumise, qu’elle comptait s’attacher par des dîners et des petits gâteaux.

Celle-là était plus dévote que madame Gérard, et, de plus, l’était avec désintéressement. Dans sa vie, elle avait pratiqué quelques évêques, ce qui donnait aussi plus de relief à sa dévotion.

En s’installant à Villevieille, elle fit assez de fracas, meubla une maison richement et invita ce qu’il y avait de mieux. Elle