Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/63

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t-elle. Il n’est pas convenable que nous nous voyions ainsi. »

Elle excita dans l’esprit d’Émile une combinaison tout autre qu’elle ne croyait. Il pensa que, puisque Henriette trouvait elle-même compromettantes ces entrevues de jour, il ne serait peut-être pas difficile de lui persuader de les remettre à la nuit.

« Je suis tout prêt à y aller, répondit-il sans beaucoup d’élan.

— Eh bien, il faut fixer un jour.

— Oh ! ce ne sera pas très commode : je ne puis savoir quel jour le travail me laissera libre.

— Enfin, irez-vous bientôt ? »

Ainsi excité, Émile se reprocha cependant de manquer de courage.

« Eh bien, dit-il, j’irai demain.

— Ma mère est si polie, elle vous recevra bien.

— Ce qui m’embarrasse surtout, répondit-il, c’est d’aborder votre mère. Je ne sais parler qu’avec les personnes à qui on peut tout dire naïvement.

— Oh ! dit Henriette en riant, ce n’est pas bien terrible de dire : Madame, je viens vous prier de me donner la main de mademoiselle votre fille, elle ne veut épouser que moi… Enfin, pas tout à fait comme cela cependant, un peu arrangé…

— Oui, un peu arrangé ! reprit Émile en secouant comiquement la tête.

— Songez donc, dit Henriette, qu’après vous, moi, j’aurai aussi à parler. »

Violenté, aiguillonné de la sorte, Émile eut d’abord une parfaite confiance en lui-même.

Mais en s’habillant toutes voiles dehors pour aller aux Tournelles, il se rappela quels caractères Henriette lui avait décrits en lui peignant sa famille, et il jugea qu’il ne pouvait y avoir aucune sympathie entre lui et tout ce monde. Il se dit à voix basse qu’il échouerait. Il savait ce qui se passe entre gens antipathiques, et combien un esprit intelligent et jeune peut être décontenancé par l’hostilité d’une personne plus âgée, en qui tout respire sécheresse et étroitesse.

Les regards échangés à la première vue font éprouver un