Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/64

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petit choc. De même que les géologues essayent des pierres avec de petits marteaux, ces regards touchent comme un coup de marteau, et la personne à qui on a affaire est essayée. Or Émile était sans force envers les êtres antipathiques, n’espérant pas les gagner et n’osant pas les froisser.

Au départ cependant sa fermeté semblait assez solide. Mais bientôt je ne sais quelle faiblesse l’envahit, son cœur battait à se faire entendre, et une singulière résistance intérieure luttait contre sa volonté. L’enfer ne tourmente pas tant que ces timidités de jeunesse. Émile arriva jusqu’à la porte du parc ; mais, là, les mauvais côtés de sa mission l’assaillirent avec tant de cris, comme les monstres de l’île d’Alcine, dans Roland Furieux, qu’il ne désira plus qu’une chose, s’en délivrer. Il retourna sur ses pas. Le nombre de retraites que ce garçon avait faites dans sa vie était incalculable : car, chose bizarre ! il avait la manie de tenter continuellement des expéditions. Il s’arrêta pourtant honteux de lui-même, et, se redressant après avoir plié, il voulut, pour l’honneur de sa force morale, vaincre cette lâcheté.

Émile chassa toute idée amollissante, se concentra fortement sur ce qu’il avait à faire, revint à la porte et posa la main sur le bouton de la sonnette. Par malheur il entendit à que son cœur recommençait à battre, et il tira tout doucement, se recroquevillant si bien encore une fois en lui-même, que s’il y avait eu là quelqu’un, il aurait parlé à voix basse.

Le coup de sonnette d’Émile ne retentit naturellement pas, et le lâche garçon fut enchanté de pouvoir arranger ce résultat de sa faiblesse en jugement du Ciel. Il se sauva, prétendant que c’était le sort qui le voulait ainsi.

Henriette et lui étaient convenus de ne pas se voir ce jour-là, parce que la jeune fille saurait bien par sa mère comment Émile aurait été reçu. Elle fut dans une grande agitation depuis le matin jusqu’au soir, se figurant qu’il se présenterait peut-être après le dîner. Tout son temps se passa à attendre. C’est une manière fort rapide de passer le temps, quoi qu’on dise. On se lève, on s’assoit, on marche, on regarde aller les aiguilles de la pendule, on compte les minutes, on écoute tous les bruits, on récapitule toutes les raisons pour ou con-