Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/68

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qu’elle admettait la possibilité de ce rendez-vous, et elle ajouta : « Non, je ne viendrai pas, la nuit est trop triste. Je ne veux pas que vous couriez les chemins : il fait très humide, vous vous rendriez malade. »

Henriette semblait ne pas avoir le courage d’opposer à Émile une barrière solide.

« Ne vous inquiétez pas de moi, dit-il, je me suis très souvent promené la nuit, et si vous n’en avez pas essayé, vous ne pouvez avoir une idée du plaisir, du calme qu’on ressent.

— Oh ! il ne faut pas y penser ! reprit Henriette de l’accent dont elle aurait jeté un cri de détresse.

— Allons ! reprit Émile, n’en parlons plus, puisque cela vous contrarie ; je vous le proposais dans votre intérêt… pour votre réputation. »

Il était irrité, et Henriette le sentit bien ; elle était à bout de forces pour résister. Elle ne dit plus rien, pensant que si Émile recommençait à vouloir la convaincre, elle céderait.

Le jeune homme était devenu muet, tout remué en dedans par l’idée de ne plus revenir, puisqu’on refusait, puisqu’on lui tranchait ses joies d’un seul coup.

« Je ne sais pas quand vous me reverrez ! s’écria-t-il enfin d’une façon assez sèche.

— Vous êtes fâché ? dit Henriette, qui aurait presque pleuré.

— Mais je vous assure que non, répondit-il en lui prenant la main ; quelle drôle d’idée ! vous savez bien que je ne suis pas le maître de mon temps ; on me l’a déjà fait sentir à la sous-préfecture. »

Henriette trouva une immense quantité de reproches résignés sous ces deux ou trois dernières réponses d’Émile, et fut prête à implorer son pardon ; mais un diable lui serra la gorge pour l’empêcher de parler. Émile lui dit adieu, lui serra la main. Le refus d’Henriette l’avait exaspéré et consterné. Sa colère fit qu’il lut le soir, pour se distraire, et qu’il dormit bien ; et, le matin, en s’éveillant, sa première pensée fut de constater qu’il ne pensait plus à Henriette. Il se palpa, et il reconnut qu’aucun point de ses sentiments