Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un troisième papier, intitulé Uranie, restait en blanc ; mais un quatrième contenait une véritable ode à Henriette.

« Céphise est parée de toutes les grâces de la jeunesse. Les fées bienveillantes ont entouré son berceau, lui prodiguant à l’envi leurs dons précieux. Un charme inimaginable réside en sa personne. La pudeur, la modestie, la beauté, l’enjouement, la douce malice, forment son cortège. Cette aimable jeune fille, dont les neuf sœurs eussent fait leur compagne, possède une incomparable harmonie dans tous ses mouvements. Sa démarche est d’une légèreté divine, son rire a le timbre du pur cristal, sa voix est une douceur suave, son regard une fontaine limpide. Son esprit surpasse peut-être sa beauté et sa bonté surpasse son esprit. Jamais femme n’a été pétrie de plus d’attraits pour faire le bonheur d’un honnête homme. »

L’honnête homme était peut-être le président lui-même ! À trente ou trente-cinq ans, M. de Neuville eût été encore assez spirituel pour ne point écrire de ces choses-là. Mais chez la plupart des hommes, il se fait des ravages effrayants entre trente-cinq et quarante-cinq ans. À cet âge, commence pour beaucoup de gens une sorte d’hiver qui détruit tout ce qu’ils ont d’intelligent.

À onze heures, le curé et le président arrivèrent pour déjeuner aux Tournelles. Henriette se plaignit d’un mal de tête violent, et annonça qu’elle allait se promener dans le parc au lieu de rester à table. On était habitué à ses prétendues maladies, on la laissa sortir sans s’étonner. Corbie aurait voulu la suivre aussitôt, mais il manquait d’un prétexte ; il ne sut rien inventer et fut obligé de rester à ce repas, qu’il troubla par ses agitations extraordinaires. IL semblait qu’un lutin se fût introduit dans les bras et les jambes du pauvre oncle. Ses coudes accrochaient les bouteilles et les renversaient, ses mains tremblantes laissaient pencher les plats et couler les sauces sur son gilet ; il avalait de travers, se mordait la langue, donnait des coups de pied sous la table à ses voisins, et stupéfiait tout le monde par cette conduite de personnage de la pantomime.

En arrivant vers la muraille, Henriette s’aperçut qu’on l’a-