Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/76

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vait garnie de tessons de verre, comme pour empêcher les escalades ; elle eut peur qu’Émile ne se blessât, et elle essaya de débarrasser de ces verres dangereux au moins une petite partie du mur, en jetant des cailloux et des branches cassées.

Ce qui fut assez comique, c’est qu’Émile, qui venait d’arriver de l’autre côté, en ce même moment, recevait sur la tête toutes ces pierres et toutes ces branches, sans pouvoir comprendre ce que cela signifiait, se demandant ce que voulait dire l’emploi de cette espèce d’artillerie, et si elle était dirigée contre lui. Au bout d’un certain temps, après être resté coi pour ne pas fixer les doutes de son ennemi, il devina qu’on cherchait à faire tomber le verre qu’il avait remarqué avec une certaine inquiétude. Ce n’était donc pas un ennemi. Il toussa pour parlementer avec la place, et aussitôt Henriette cria à demi-voix « Est-ce-vous ? »

Émile grimpa, et, afin de ne pas inquiéter Henriette en manœuvrant devant elle au milieu des tessons de bouteille, il sauta par-dessus le mur d’un seul élan, au risque de se tuer.

La jeune fille ne se rendit pas compte du danger qu’il courait ; mais elle eut, malgré son sens assez élevé, une sorte de petite satisfaction de vanité à voir la vigueur et la légèreté de monsieur son amoureux.

« Depuis quand donc a-t-on mis du verre ? dit Émile, qui pensait que le retour serait plus difficile.

— Je ne sais pas, dit Henriette, je ne m’en suis aperçue qu’aujourd’hui. Vous devriez m’aider à l’ôter, vous qui êtes plus grand.

— Mais, dit Émile, est-ce que ce serait votre oncle qui l’aurait fait mettre ? Il faut bien qu’on se soit douté de quelque chose.

— On ne parle de rien, les figures ne sont pas changées… Je serais très étonnée que qui que ce soit fût sur la trace.

— On s’est cependant bien aperçu qu’on passait par-dessus le mur…

— Peut-être est-ce le jardinier ; je ne sais pas du tout comment cela s’est fait, » dit Henriette.

Des soupçons entrèrent subitement dans l’esprit d’Émile.

« On veut vous marier ! dit-il brusquement.