Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/79

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— Non… dit Henriette sans beaucoup d’assurance.

– D’après la manière dont vous m’avez parlé de son caractère, cependant !…

— Que compteriez-vous donc faire alors ? »

Émile baissa la tête, réfléchit, et, ne trouvant aucune voie à rendre, il répondit avec dépit et en souriant de lui-même à la fois :

« Y aller… vous avez raison… il faut au moins savoir à quoi s’en tenir.

— Comme vous êtes irrésolu ! » ne put s’empêcher de dire Henriette.

Ce mot châtiait cruellement Émile : ce fut un de ceux qu’il n’oublia pas. Il savait maintenant qu’un des mauvais coins de son caractère était connu de la jeune fille.

« Peut-être moins qu’on ne croit, s’écria-t-il ; seulement je pense qu’il y a du bon sens à s’arrêter devant l’impossible.

— Enfin réfléchissez, » répondit Henriette, voulant adoucir par condescendance le breuvage amer qu’elle venait de lui verser.

Émile employait maintenant tous les arguments de sa mère qu’il avait tant combattus ; madame Germain eût été étonnée de ce changement de front, et les nouvelles évolutions de son fils lui eussent paru incompréhensibles. Le jeune homme songea à faire venir dans l’esprit de son amie des idées moins défavorables, et il présenta le précieux portrait, qui fut reçu avec transports. Henriette regretta de n’avoir pas pensé de son côté à lui faire un cadeau ; elle se plaignit aussi que le portrait fût trop grand pour pouvoir être porté au cou, mais elle ne fut pas insensible à la bonne exécution de la peinture. La petite toile absorba alors toutes les pensées, et il ne se passa plus rien d’intéressant. Émile partit.

Henriette revint vers la maison, réfléchissant au caractère du jeune homme et ne ressentant pas le même enthousiasme pour lui, éprouvant une sorte de profond ennui de se retrouver seule, désirant qu’il fût là et entrevoyant des défauts dans la nature d’Émile ; mais prête à l’aimer parce qu’il l’aimait.

Elle était tellement préoccupée qu’elle n’avait pas pris ses précautions contre son oncle, et ne put éviter qu’il vînt à elle.