Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/78

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— Mais, mon Dieu, vous ce voulez donc plus de moi ? » s’écria Henriette avec un naïf chagrin.

Émile était mécontent et ne se sentait pas en disposition de dire une seule bonne parole.

« Est-il seulement bien sûr que vous vouliez de moi ? reprit-il.

— Oh ! qu’avez-vous donc ? s’écria Henriette, je ne vous ai pas encore vu comme cela. Je vous supplie, je vous presse depuis quinze jours d’aller chez ma mère, je me tourmente de ne pas vous voir, je pleure, je suis toute changée, je ne pense qu’à vous, et voilà ce que vous avez à me dire ! Ah ! vous ne savez pas ce qui se passe en moi ! Émile, il faut qu’on ait confiance en moi, je ne puis pas supporter le doute. Vous m’avez blessée. »

Émile fut rappelé à lui par le ton un peu sec et hautain d’Henriette. Il n’était pas fâché de la contrarier et de lui faire peur, parce qu’alors elle devenait plus tendre, plus expansive pour l’apaiser ; mais cette fois il rencontra un orgueil et une irritation inattendus, et il éprouva une sorte de terreur d’avoir allumé ces sentiments avec une phrase qu’il avait laissée tomber comme une étincelle.

« Ainsi il n’y a rien de nouveau ? reprit-il d’une voix affectueuse.

— Mais puisque je vous ai dit que non, répondit Henriette avec émotion.

— Il y a des jours où je pense que vous devriez partir avec moi, ajouta Émile pensif.

— Je ne vous comprends pas, répliqua Henriette. Pourquoi ne voulez-vous pas aller chez ma mère ? car je vois à présent que vous ne voulez pas y aller.

— Eh bien, c’est vrai, dit Émile, je suis sûr que je serais refusé.

— Quelqu’un vous aura persuadé, on vous aura mis cela dans la tête…

— Non, dit Émile, c’est ma mère.

— Ah ! elle ne m’aime pas alors, votre mère… !

— Oh ! elle ne vous connaît pas. Mais voyons, est-ce qu’il ne vous paraît pas évident que la vôtre m’éconduira ?