Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/9

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froide de visage, représentait, pour la société de province, un type de distinction parisienne. On accordait à madame Gérard la réputation de la femme la plus spirituelle du département. Elle avait pris l’initiative de la charité et de la philanthropie dans le pays, où quelques établissements de bienfaisance se fondèrent par ses soins. Un prêtre estimé à Villevieille, M. Euphorbe Doulinet, curé d’une des paroisses de la ville, était son directeur et semblait posséder une grande influence aux Basses-Tournelles.

Les personnes qui furent invitées chez madame Gérard, et qui lui rendirent des visites, virent toujours dans son salon M. le curé Doulinet, qui était le commensal assidu et respectable de la maison et M. Moreau de Neuville, président du tribunal de Villevieille, qui passait pour un esprit caustique et un homme de la meilleure compagnie.

Ce ne fut que plus tard qu’on fit des réflexions sur la présence continuelle du président aux Basses-Tournelles, où il dînait presque tous les jours, et l’on remarqua aussi que la nomination de M. de Neuville, à Villevieille, suivit de quelques semaines à peine l’arrivée des Gérard.

On s’intéressait à une belle jeune fille qui travaillait ordinairement près de la table, dans l’ombre de l’abat-jour, et à un gros garçon de vingt ans, plein de santé, qui ne disait jamais rien quand il y avait des étrangers.

On admirait le talent musical de mademoiselle Henriette Gérard, et on louait la modestie de son frère Aristide.

Enfin le frère de Pierre, l’oncle Corbie Gérard, être d’un aspect fortement campagnard, complétait les réunions de famille quotidiennes. Celui-là n’habitait pas sous le toit de madame Gérard. Il s’était installé dans un petit village tout proche, appelé Bourgthéroin, où il vivait avec ses quatre mille livres de rentes, soigné par une vieille servante. Mais, comme le curé et le président, Corbie passait sa vie aux Tournelles.

« Quelle union ! disait-on, ce père et cette mère qui passent toutes leurs soirées avec leurs enfants, leurs amis, leur frère ! Le travail, la charité, la bonne éducation ! »

Telles furent les exclamations à Villevieille pendant les premiers mois !