Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/10

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Puis, lorsque la situation du président dans le ménage eut été un peu éclaircie aux yeux des plus pénétrants, il se manifesta quelque hésitation parmi la société de la petite ville, et une certaine fraction très rigoriste commença à montrer de la froideur envers les Gérard, dont la considération officielle ne fut cependant pas amoindrie.

Or, la famille seule, par sa force d’organisation et la puissance de l’habitude, maintenait réunis la plupart des personnages dont j’ai parlé, que divisait au contraire profondément la lutte des passions et des caractères.

Ce petit monde tendait à une dissolution et était rempli de querelles secrètes, de paroles aiguës et d’inimitiés sourdes qu’une succession d’événements, partis d’une origine inattendue, fit grandir et éclater en quelque temps.

Ainsi, un matin, Pierre Gérard entendit du bruit dans la chambre de sa femme et reconnut qu’elle paraissait irritée contre sa fille dont la voix douce, mais par moments mordante, répondait brièvement, d’une façon un peu hautaine.

Le mécontentement apparut un instant sur la figure de Pierre. Il se leva, hésita, puis quitta son cabinet, passa, en marchant sur la pointe du pied, devant la porte qui le séparait de sa femme et de sa fille, et descendit dans le parc.

« Comme cela, se dit-il avec satisfaction, je suis en dehors de l’affaire ! »

Mais, comme s’il eût été destiné, ce jour-là, à recevoir quelque grave leçon, un autre petit tableau de la discorde lui apparut encore dans son jardin.

Pierre avait pris une allée qui conduisait à un petit bosquet où, ordinairement, on allait s’asseoir pour lire et causer. Là se trouvaient son frère, le curé et le président. Il put écouter quelques phrases avant qu’on s’aperçût de son arrivée.

« Est-ce vous, monsieur le curé[1], dit Corbie d’un air chagrin, qui auriez défendu à Henriette d’aller au bal ce soir ?

  1. Il y a peut être quelque puérilité, de la part de l’auteur, à déclarer ici au principe de composition littéraire qui choque beaucoup de personnes : c’est qu’il laisse systématiquement des fautes de français dans la bouche de ses personnages, afin de se rapprocher davantage de la naïveté ou de l’abandon négligent du réel.