Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/91

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sez toujours charmante, toujours jeune ? Vous ne m’accordez que bien rarement de causer seul avec vous, maintenant. »

Madame Gérard se regarda à la dérobée dans une glace, se vit bonne mine, le teint animé, elle comprit l’émotion de M. de Neuville.

« Mon cher Charles, répondit-elle, c’est justement pour nous sauvegarder contre nous-mêmes, pour nous rappeler à la sagesse de notre âge, que j’aime à ce que M. Doulinet soit avec et entre nous. Le temps est venu de faire de sérieuses réflexions, et ses conseils, son appui, sont excellents. Je craindrais mes remords, sans lui.

— Ah ! ma chère Caroline, s’écria M. de Neuville, si vous pouviez vous voir avec mes yeux, vous ressentiriez ce que j’éprouve. Je me reportais tout à l’heure à cinq ou six ans en arrière, aux mêmes jours : c’est un souvenir si émouvant, et il se joint si étroitement aux sensations douces que donne ce délicieux temps d’aujourd’hui ! Ah ! ma chère amie, tout cela éveille mes regrets sur ce qui se passe en vous. Je vous assure que ce m’est un chagrin mortel de vous voir vous acheminer froidement vers ce… sérieux, cette sagesse, comme vous dites, sans vous soucier des tristes impressions que je…

— Vous serez toujours faible, dit madame Gérard ; il faut cependant songer à réparer nos torts. Pierre a été si généreux !

— Oh ! dit M. de Neuville, laissez-moi pour la dernière fois effleurer ces chères lèvres qui depuis longtemps ne s’approchent plus des miennes ! »

— Un gros pas lourd se fit entendre dans le corridor. M. de Neuville et madame Gérard tressaillirent et s’écartèrent vivement l’un de l’autre.

« Vous voyez bien que ce n’est pas raisonnable, » dit-elle à demi-voix.

L’oncle Corbie entra assez tragiquement et sans se douter des malheurs qui avaient failli arriver. Les autres crurent, à son air sombre, qu’il soupçonnait la vérité ; mais comme ils