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OURIKA.

mélange ; rien ne troublait alors ma sécurité. Ce fut peu de jours après ce bal qu’une conversation, que j’entendis par hasard, ouvrit mes yeux et finit ma jeunesse.

Il y avait dans le salon de madame de B. un grand paravent de laque. Ce paravent cachait une porte ; mais il s’étendait aussi près d’une des fenêtres, et, entre le paravent et la fenêtre, se trouvait une table où je dessinais quelquefois. Un jour, je finissais avec application une miniature ; absorbée par mon travail, j’étais restée longtemps immobile, et sans doute madame de B. me croyait sortie, lorsqu’on annonça une de ses amies, la marquise de… C’était une personne d’une raison froide, d’un esprit tranchant, positive jusqu’à la sécheresse ; elle portait ce caractère dans l’amitié : les sacrifices ne lui coûtaient rien pour le bien et pour l’avantage de ses amis ; mais elle leur faisait payer cher ce grand attachement. Inquisitive et difficile, son exigence égalait son dévouement, et elle était la moins aimable des amies de madame de B. Je la craignais quoiqu’elle fût bonne pour moi ; mais elle l’était à sa manière : examiner, et même assez sévèrement, était pour elle un signe d’intérêt. Hélas ! j’étais si accoutumée à la bienveillance, que la justice me semblait toujours redoutable. « Pendant que nous sommes seules, dit, madame de… à madame de B., je veux vous