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Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/31

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OURIKA.

nergie de son caractère ; sa santé en était altérée, mais je n’imaginais pas qu’on pût essayer de la consoler, ou même de la distraire. Je pleurais, je m’unissais à ses sentiments, j’essayais d’élever mon âme pour la rapprocher de la sienne, pour souffrir du moins autant qu’elle et avec elle. Je ne pensai presque pas à mes peines, tant que dura la terreur ; j’aurais eu honte de me trouver malheureuse en présence de ces grandes infortunes ; d’ailleurs je ne me sentais plus isolée depuis que tout le monde était malheureux. L’opinion est comme une patrie ; c’est un bien dont on jouit ensemble ; on est frère pour la soutenir et pour la défendre. Je me disais quelquefois que moi, pauvre négresse, je tenais pourtant à toutes les âmes élevées, par le besoin de la justice que j’éprouvais en commun avec elles : le jour du triomphe de la vertu et de la vérité serait un jour le triomphe pour moi comme pour elles ; mais, hélas ! ce jour était bien loin. Aussitôt que Charles fut arrivé, madame de B. partit pour la campagne. Tous ses amis étaient cachés ou en fuite ; sa société se trouvait presque réduite à un vieil abbé que, depuis dix ans, j’entendais tous les jours se moquer de la religion, et qui à présent s’irritait qu’on eût vendu les biens du clergé, parce qu’il y perdait vingt mille livres de rente. Cet abbé vint avec nous à Saint-Germain.

Sa société était douce, ou plutôt elle était tran-