Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
OURIKA.

comme les enfants, je fermais les yeux, et je croyais qu’on ne me voyait pas.

Vers la fin de l’année 1795, la terreur était finie, et l’on commençait à se retrouver ; les débris de la société de madame de B. se réunirent autour d’elle, et je vis avec peine le cercle de ses amis s’augmenter. Ma position était si fausse dans le monde, que plus la société rentrait dans son ordre naturel, plus je m’en sentais dehors. Toutes les fois que je voyais arriver chez madame de B. des personnes qui n’y étaient pas encore venues, j’éprouvais un nouveau tourment. L’expression de surprise mêlée de dédain que j’observais sur leur physionomie commençait à me troubler ; j’étais sûre d’être bientôt l’objet d’un aparté dans l’embrasure d’une fenêtre ou d’une conversation à voix basse, car il fallait bien se faire expliquer comment une négresse était admise dans la société intime de madame de B. Je souffrais le martyre pendant ces éclaircissements ; j’aurais voulu être transportée dans ma patrie barbare, au milieu des sauvages qui l’habitent, moins à craindre pour moi que cette société cruelle qui me rendait responsable du mal qu’elle seule avait fait. J’étais poursuivie plusieurs jours de suite, par le souvenir de cette physionomie dédaigneuse ; je la voyais en rêve, je la voyais à chaque instant ; elle se plaçait devant moi comme ma propre image. Hélas ! elle