Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
ÉDOUARD.

Je voudrais, lui dis-je, être aujourd’hui pour vous ce qu’on fut alors pour moi. Il prit ma main : — Vous êtes trop bon, me dit-il ; mais vous ne savez pas ce que vous me demandez, vous voulez me faire du bien, et vous me feriez du mal : les grandes douleurs n’ont pas besoin de confidents ; l’âme qui peut les contenir se suffit à elle-même ; il faut entrevoir ailleurs l’espérance pour sentir le besoin de l’intérêt des autres ; à quoi bon toucher à des plaies inguérissables ? tout est fini pour moi dans la vie, et je suis déjà à mes yeux comme si je n’étais plus. — Il se leva, se mit à marcher sur le pont, et bientôt alla s’asseoir à l’autre extrémité du navire. Je quittai alors le banc que j’occupais pour lui donner la facilité d’y revenir ; c’était sa place favorite, et souvent même il y passait les nuits. Nous étions alors dans le parallèle des vents alisés, à l’ouest des Açores, et dans un climat délicieux. Rien ne peut peindre le charme de ces nuits des tropiques : le firmament semé d’étoiles se réfléchit dans une mer tranquille. On se croirait placé, comme l’archange de Milton, au centre de l’univers, et pouvant embrasser d’un seul coup d’œil la création tout entière. Le jeune passager remarquait un soir ce magnifique spectacle : L’infini est partout, dit-il ; on le voit là, en montrant le ciel ; on le sent ici, en montrant son cœur : et cependant quel mystère ! qui peut le comprendre ! Ah ! la