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Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/61

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ÉDOUARD.

mort en a le secret ; elle nous l’apprendra peut-être, ou peut-être nous fera-t-elle tout oublier. Tout oublier ! répéta-t-il d’une voix tremblante. — Vous n’entretenez pas une pensée si coupable ? lui dis-je. — Non, répondit-il ; qui pourrait douter de l’existence de Dieu en contemplant ce beau ciel ? Dieu a répandu ses dons également sur tous les êtres, il est souverainement bon ; mais les institutions des hommes sont toutes-puissantes aussi, et elles sont la source de mille douleurs.

Les anciens plaçaient la fatalité dans le ciel ; c’est sur la terre qu’elle existe, et il n’y a rien de plus inflexible dans le monde que l’ordre social tel que les hommes l’ont créé. Il me quitta en achevant ces mots. Plusieurs fois je renouvelai mes efforts, tout fut inutile ; il me repoussait sans me blesser, et cette âme inaccessible aux consolations était encore généreuse, bienveillante, élevée ; elle aurait donné le bonheur qu’elle ne pouvait plus recevoir. Le voyage finit ; nous débarquâmes à Baltimore. Le jeune passager me demanda de l’admettre comme volontaire dans mon régiment ; il y fut inscrit, comme sur le registre du vaisseau, sous le seul nom d’Édouard. Nous entrâmes en campagne, et, dès les premières affaires que nous eûmes avec l’ennemi, je vis qu’Édouard s’exposait comme un homme qui veut se débarrasser de la vie. J’avoue que chaque jour m’attachait davantage à cette victime