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ÉDOUARD.

parlé de mes jeux : un de ceux qui me plaisaient le plus était de traverser la rivière en sautant de rocher en rocher par-dessus ses ondes bouillonnantes ; souvent même je prolongeais ce jeu périlleux, et non content de traverser la rivière, je la remontais ou je la descendais de la même façon. Le danger était grand ; car, en approchant de la forge, la rivière encaissée se précipitait violemment sous les lourds marteaux qui broyaient la mine, et sous les roues que le courant faisait mouvoir. Un jour, un enfant un peu plus jeune que moi me dit : « Ce que tu fais n’est pas difficile. — Essaie donc, » répondis-je. Il saute, fait quelques pas, glisse, et disparaît dans les flots. Je n’eus pas le temps de la réflexion ; je me précipite, je me cramponne aux rochers, et l’enfant, entraîné par le courant, vient s’arrêter contre l’obstacle que je lui présente. Nous étions à deux pas des roues, et les forces me manquant nous allions périr lorsqu’on vint à notre secours. Je fondis en larmes lorsque le danger fut passé. Mon père, ma mère accoururent et m’embrassèrent ; mon cœur palpita de joie en recevant leurs caresses. Le lendemain, en étudiant, je croyais lire des choses nouvelles ; je comprenais ce que jusque-là je n’avais fait qu’apprendre ; j’avais acquis la faculté d’admirer ; j’étais ému de ce qui était bien, enflammé de ce qui était grand. L’esprit de mon père me frappait comme si je ne