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ÉDOUARD.

l’eusse jamais entendu : je ne sais quel voile s’était déchiré dans les profondeurs de mon âme. Mon cœur battait dans les bras de ma mère, et je comprenais son regard. Ainsi un jeune arbre, après avoir langui longtemps, prend tout à coup l’essor ; il pousse des branches vigoureuses, et on s’étonne de la beauté de son feuillage ; c’est que sa racine a enfin rencontré le filon de terre qui convient à sa substance ; j’avais rencontré aussi le terrain qui m’était propre ; j’avais dévoué ma vie pour un autre.

De ce moment je sortis de l’enfance. Mon père, encouragé par le succès, m’ouvrit les voies nouvelles qu’on ne parcourt qu’avec l’imagination. En me faisant appliquer les sentiments aux faits, il forma à la fois mon cœur et mon jugement. Savoir et sentir, disait-il souvent, voilà toute l’éducation. Les lois furent ma principale étude ; mais par la manière dont cette étude était conduite, elle embrassait toutes les autres. Les lois furent faites en effet pour les hommes et pour les mœurs de tous les temps : elles suivirent les besoins ; compagnes de l’histoire, elles sont le mot de toutes les difficultés, le flambeau de tous les mystères ; elles n’ont point de secret pour qui sait les étudier, point de contradiction pour qui sait les comprendre. Mon père était le plus aimable des hommes ; son esprit servait à tout, et il n’en avait jamais que ce qu’il fal-