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ÉDOUARD.

lait. Il possédait au suprême degré l’art de faire sortir la plaisanterie de la raison. L’opposition du bon sens aux idées fausses est presque toujours comique ; mon père m’apprit à trouver ridicule ce qui manquait de vérité. Il ne pouvait mieux en conjurer le danger. C’est un danger pourtant et un grand malheur que la passion dans l’appréciation des choses de la vie, même quand les principes les plus purs et la raison la plus saine sont vos guides. On ne peut haïr fortement ce qui est mal sans adorer ce qui est bien ; et ces mouvements violents sont-ils faits pour le cœur de l’homme ? Hélas ! ils le laissent vide et dévasté comme une ruine, et cet accroissement momentané de la vie amène et produit la mort. Je ne faisais pas alors ces réflexions ; le monde s’ouvrait à mes yeux comme un océan sans bornes. Je rêvais la gloire, l’admiration, le bonheur ; mais je ne les cherchais pas hors de la profession qui m’était destinée. Notre profession ! où l’on prend en main la défense de l’opprimé, où l’on confond le crime et fait triompher l’innocence. Mes rêveries, qui avaient alors quelque chose de moins vague, me représentaient toutes les occasions que j’aurais de me distinguer ; et je créais des malheurs et des injustices chimériques, pour avoir la gloire et le plaisir de les réparer. La révolution qui s’était faite dans mon caractère n’avait produit aucun changement dans mes goûts.