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ÉDOUARD.

semblait que j’avais perdu la faculté de penser et de sentir ; enfin, je levai les yeux par hasard, et j’aperçus un portrait de madame de Nevers ; indigne fils ! en le contemplant je perdis un instant le souvenir de mon père. Qu’était-elle donc pour moi ? Quoi ! déjà son seul souvenir suspendait dans mon cœur la plus amère de toutes les peines ! Mon ami, ce sera un sujet éternel de remords pour moi que cette faute dont je vous fais l’aveu ; non, je n’ai point assez senti la douleur de la mort de mon père ! Je mesurais toute l’étendue de la perte que j’avais faite ; je pleurais son exemple, ses vertus ; son souvenir déchirait mon cœur, et j’aurais donné mille fois ma vie pour racheter quelques jours de la sienne, mais quand je voyais madame de Nevers, je ne pouvais pas m’empêcher d’être heureux. Mon père témoignait par son testament le désir de reposer près de ma mère. Je me décidai à le conduire moi-même à Lyon. L’accomplissement de ce devoir soulageait un peu mon cœur. Quitter madame de Nevers me semblait une expiation du bonheur que je trouvais près d’elle malgré moi. Mon père me recommandait aussi de terminer des affaires relatives à la tutelle d’un enfant de ses amis ; je voulais lui obéir, je me disais que je reviendrais bientôt, que j’habiterais sous le même toit que madame de Nevers, que je la verrais à toute heure ; et mon coupable cœur battait de joie à de telles pensées !