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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/33

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ÉDOUARD.

versation, il m’avait forcé de rester. Ah ! quel supplice il m’imposait ! m’entendre vanter pour ma délicatesse, pour ma reconnaissance, pour mon dévoûment ! Il n’en fallait pas tant pour rappeler ma raison égarée, et pour faire rentrer le remords dans mon âme. Il s’en empara avec violence, et me déchira d’autant plus que j’avais pu l’oublier un moment. Mais par une bizarrerie de mon caractère, j’éprouvai une sorte de joie de voir que pourtant je sentais encore ce que devait sentir un homme d’honneur ; que la passion m’entraînait sans m’aveugler, et que du moins madame de Nevers ne m’avait pas encore ôté le regret des vertus que je perdais pour elle. J’essayai de me dire qu’un jour je la fuirais. Fuir madame de Nevers ! m’en séparer ! Je ne pouvais en soutenir la pensée, et cependant j’avais besoin de me dire que dans l’avenir j’étais capable de ce sacrifice. Non, je ne l’étais pas ; j’ai senti plus tard que m’arracher d’auprès d’elle, c’était aussi m’arracher la vie. Il était impossible qu’un cœur déchiré comme l’était le mien pût donner ni recevoir un bonheur paisible. Madame de Nevers me reprochait l’inégalité de mon humeur ; elle qui n’avait besoin que d’aimer pour être heureuse, tout était facile de sa part : c’était elle qui faisait les sacrifices. Mais moi qui l’adorais et qui étais certain de ne la posséder jamais ! Dévoré de remords, obligé de cacher à tous les