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ÉDOUARD.

cachai mon visage dans mes mains, et je sentis bientôt qu’il était baigné de mes larmes : je n’osais lever les yeux sur madame de Nevers. « Édouard, me dit-elle, est-ce un reproche ? Pouvez-vous croire que j’appellerais un sacrifice ce qui me donnerait à vous ? Sans mon père, croyez-vous que j’eusse hésité. » — Je me prosternai à ses pieds ; je lui demandai pardon de ce que j’avais osé lui dire : « Lisez dans mon cœur, lui dis-je ; concevez, s’il est possible, une partie de ce que je souffre, de ce que je vous cache ; si vous me plaignez, je serai moins malheureux. » Cette île imaginaire devint l’objet de toutes mes rêveries ; dupe de mes propres fictions, j’y pensais sans cesse ; j’y transportais en idée celle que j’aimais : là, elle m’appartenait ; là, elle était à moi, toute à moi ! Je vivais de ce bonheur chimérique ; je la fuyais elle-même pour la retrouver dans cette création de mon imagination, ou loin de ces lois sociales, cruelles et impitoyables ; je me livrais à de folles illusions d’amour, qui me consolaient un moment, pour m’accabler ensuite d’une nouvelle et plus poignante douleur. Il était impossible que ces violentes agitations n’altérassent pas ma santé ; je me sentais dépérir et mourir ; d’affreuses palpitations me faisaient croire quelquefois que je touchais à la fin de ma vie, et j’étais si malheureux que j’en voyais le terme avec joie. Je fuyais madame de Nevers ;