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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/37

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ÉDOUARD.

je craignais de rester seul avec elle, de l’offenser peut-être en lui montrant une partie des tourments qui me déchiraient. Un jour elle me dit que je lui tenais mal la promesse que je lui avais faite d’être heureux du seul bonheur d’être aimé d’elle. « Vous êtes mauvais juge de ce que je souffre, lui dis-je, et je ne veux pas vous l’apprendre ; le bonheur n’est pas fait pour moi, je n’y prétends pas ; mais dites-moi seulement, dites-moi une fois que vous me regretterez quand je ne serai plus ; que ce tombeau qui me renfermera bientôt attirera quelquefois vos pas ; dites que vous eussiez souhaité qu’il n’y eût pas d’obstacle entre nous. » — Je la quittai sans attendre sa réponse ; je n’étais plus maître de moi ; je sentais que je lui dirais peut-être ce que je ne voulais pas lui dire ; et la crainte de lui déplaire régnait dans mon âme autant que mon amour et que ma douleur. Je m’en allai dans la campagne : je marchais des journées entières, dans l’espérance de fuir deux pensées déchirantes qui m’assiégeaient tour à tour ; l’une, que je ne posséderais jamais celle que j’aimais ; l’autre, que je manquais à l’honneur en restant chez M. le maréchal d’Olonne. Je voyais l’ombre de mon père me reprocher ma conduite, me demander si c’était là le fruit de ses leçons et de ses exemples. Puis à cette vision terrible succédait la douce image de madame de Nevers : elle ra-