Aller au contenu

Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
ÉDOUARD.

consolait de tout, ou mettait le comble à mes maux. Madame de Nevers quelquefois feignait de douter de mon amour : « Vous m’aimez bien peu, disait-elle, si je ne vous console pas des mépris du monde. — J’oublierais tout à vos pieds, lui disais-je, hors le déshonneur, hors le blâme dont je ne pourrais pas vous sauver. Je le sais bien, que les maux de la vie ne vous atteindraient pas dans mes bras ; mais le blâme n’est pas comme les autres blessures, sa pointe aiguë arriverait à mon cœur avant que de passer au vôtre ; mais elle vous frapperait malgré moi, et j’en serais la cause. De quel nom ne flétrirait-on pas le sentiment qui nous lie ? Je serais un vil séducteur, et vous une fille dénaturée. Ah ! n’acceptons pas le bonheur au prix de l’infamie ! Tâchons de vivre encore comme nous vivons, ou laissez-moi vous fuir et mourir. Je quitterai la vie sans regret : qu’a-t-elle qui me retienne ? Je désire la mort plutôt ; je ne sais quel pressentiment me dit que nous serons unis après la mort, qu’elle sera le commencement de notre éternelle union. » Nos larmes finissaient ordinairement de telles conversations ; mais quoique le sujet en fût si triste, elles portaient en elles je ne sais quelle douceur qui vient de l’amour même. Il est impossible d’être tout à fait malheureux quand on s’aime, qu’on se le dit, qu’on est près l’un de l’autre. Ce bien-être ineffable