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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/42

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ÉDOUARD.

de notre vie intérieure. « Retirés, disait-elle, dans notre humble asile, au fond de nos montagnes, heureux de notre amour, en paix avec nous-mêmes, saurons-nous seulement si l’on nous blâme dans le monde ? » — Et elle disait vrai, et je connaissais assez la simplicité de ses goûts pour être certain qu’elle eût été heureuse, sous notre humble toit, avec mon amour et l’innocence. Quelquefois elle me disait : « Il se peut que j’offense, en vous aimant, les convenances sociales, mais je n’offense aucune des lois divines ; je suis libre, vous l’êtes aussi, ou plutôt nous ne le sommes plus ni l’un ni l’autre. Y a-t-il, Édouard, un lien plus sacré qu’un attachement comme le nôtre ? Que ferions-nous dans la vie maintenant, si nous n’étions pas unis ? Pourrions-nous faire le bonheur de personne ? » Je ne puis dire ce que me faisait éprouver un pareil langage ; je n’étais pas séduit, je n’étais pas même ébranlé ; mais je l’écoutais comme on prête l’oreille à des sons harmonieux qui bercent et endorment les douleurs. Je n’essayais pas de lui répondre ; je l’écoutais, et ses paroles enchantées tombaient comme un baume sur mes blessures. Mais, par une bizarrerie que je ne saurais expliquer, quelquefois ces mêmes paroles produisaient en moi un effet tout contraire, et elles me jetaient dans un profond désespoir. Inconséquence des passions ! le bonheur d’être aimé me