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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/56

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ÉDOUARD.

plus insupportable. J’avais renoncé au bonheur, et il me fallait sacrifier jusqu’au dernier plaisir des malheureux, celui de s’abandonner sans réserve au sentiment de leurs maux ! Il me fallait composer mon visage, et feindre quelquefois une gaîté trompeuse qui pût masquer les tourments de mon cœur, et prévenir des soupçons qui atteindraient madame de Nevers. La crainte de la compromettre pouvait seule me donner assez d’empire sur moi-même pour persévérer dans un rôle qui m’était si pénible. Je m’apercevais depuis quelque temps que cette bienveillance dont j’avais eu tant à me louer de la part du prince d’Enrichemont et du duc de L. avait entièrement cessé. Le prince d’Enrichemont me montrait une froideur qui allait jusqu’au dédain ; et le duc de L. avait avec moi une sorte d’ironie qui n’était ni dans son caractère ni dans ses manières habituelles. Si j’eusse été moins préoccupé, j’aurais fait plus d’attention à ce changement ; mais M. le maréchal d’Olonne me traitait toujours avec la même bonté, me montrait toujours la même confiance : il me semblait que je n’avais à craindre que lui seul, et que tant qu’il ne soupçonnerait pas mes sentiments pour madame de Nevers, j’étais en sûreté. La conduite du prince d’Enrichemont et du duc de L. me blessa donc sans m’éclairer ; je n’avais jamais aimé le premier, et je me sentais à mon aise pour le haïr ; je n’étais