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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/91

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LE MARCHAND DE ZAMORA.

renverser mes projets les plus chers, mon cœur, je le sens, serait de votre côté. — Eh bien ! dit le marchand rendu plus causeur par la gaîté du vin, eh bien ! je vais vous conter une petite histoire, vous en saisirez la leçon si vous avez du sens. Asseyez-vous pour m’écouter avec plus d’attention. » L’hôte prit une chaise, se plaça à une distance respectueuse du marchand, qui, après s’être un moment recueilli, commença son récit à peu près en ces termes :

« — J’habite la ville de Zamora, où mon père vendait de la serge. Lorsqu’il vit la mort s’approcher, il m’appela près de son lit.

« — Mon fils, me dit-il, ma boutique est ton héritage : tu n’auras pas à rougir d’être plus ou moins que moi ; voilà pour ce qui regarde ta position dans le monde. Tu partiras du point où je me suis arrêté, voilà pour ce qui concerne ta fortune. J’ai fait la moitié du chemin, achève le reste. Sois honnête homme, quoique marchand ; suppose à chaque pas que je suis toujours devant toi ; de cette manière tu atteindras, sans t’égarer, le but de toute industrie : le repos dans l’aisance.

« Il expira.

« Le dernier conseil de mon père étant pour moi une chose sacrée, je me livrai, malgré mon affliction profonde, aux soins de mon commerce.

« Ma vie, sans événements, marchait uniforme et douce. Si j’avais à raconter toutes mes jour-