Page:Durkheim - Éducation et sociologie.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contraire aux habitudes intellectuelles du sociologue que de dire d’emblée : voici comme il faut élever l’enfant, en faisant table rase de l’éducation qu’on lui donne réellement. Cadres scolaires, programmes d’enseignement, méthodes, traditions, habitudes, tendances, idées, idéaux des maîtres, ce sont là des faits, dont elle cherche à découvrir pourquoi ils sont ce qu’ils sont, bien loin de prétendre d’abord les changer. Si l’éducation française est largement traditionnelle, peu disposée à se couler dans les formes techniques de méthodes concertées ; si elle fait largement crédit aux facultés d’intuition, de tact, d’initiative des maîtres ; si elle est respectueuse de l’évolution libre de l’enfant ; si même elle résulte, pour la majeure partie, non de l’action systématique des maîtres, mais de l’action diffuse et non volontaire du milieu, c’est là un fait, qui a ses causes, et qui répond, en gros, aux conditions d’existence de la société française. La pédagogie, inspirée par la sociologie, ne risque donc pas de se faire l’apologiste d’un système aventureux, ou de conseiller une mécanisation de l’enfant, qui contrarierait son développement spontané. Ainsi, tombent les objections de penseurs éminents, qui s’obstinent à opposer Éducation et Pédagogie, comme si réfléchir sur l’action qu’on exerce, c’était nécessairement se condamner à fausser cette action.

Mais ce n’est pas à dire que la réflexion scientifique soit pratiquement stérile, et que le réalisme soit le fait de l’esprit conservateur, qui accepte paresseusement tout ce qui est. Savoir, pour prévoir et pourvoir, disait Auguste Comte, de la science positive. En fait, mieux on connaît la nature des choses, mieux on a chance de l’utiliser efficacement. L’éducateur est obligé, par exemple, de manier l’attention de l’enfant. Personne ne niera qu’il la maniera mieux, s’il en connaît plus exactement la nature. La psychologie comporte donc des