Page:Durkheim - Éducation et sociologie.djvu/44

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de « faire de l’individu un instrument de bonheur pour lui-même et pour ses semblables » (James Mill) ; car le bonheur est une chose essentiellement subjective que chacun apprécie à sa façon. Une telle formule laisse donc indéterminé le but de l’éducation, et, par suite, l’éducation elle-même, puisqu’elle l’abandonne à l’arbitraire individuel. Spencer, il est vrai, a essayé de définir objectivement le bonheur. Pour lui, les conditions du bonheur sont celles de la vie. Le bonheur complet, c’est la vie complète. Mais que faut-il entendre par la vie ? S’il s’agit uniquement de la vie physique, on peut bien dire ce sans quoi elle serait impossible ; elle implique, en effet, un certain équilibre entre l’organisme et son milieu, et, puisque les deux termes en rapport sont des données définissables, il en doit être de même de leur rapport. Mais on ne peut exprimer ainsi que les nécessités vitales les plus immédiates. Or, pour l’homme, et surtout pour l’homme d’aujourd’hui, cette vie-là n’est pas la vie. Nous demandons autre chose à la vie que le fonctionnement à peu près normal de nos organes. Un esprit cultivé aime mieux ne pas vivre que de renoncer aux joies de l’intelligence. Même au seul point de vue matériel, tout ce qui dépasse le strict nécessaire échappe à toute détermination. Le standard of life, l’étalon de vie, comme disent les Anglais, le minimum au-dessous duquel il ne nous semble pas qu’on puisse consentir à descendre, varie infiniment suivant les conditions, les milieux