Page:Durkheim - Éducation et sociologie.djvu/57

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sence d’une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l’être égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale. Voilà quelle est l’œuvre de l’éducation, et l’on en aperçoit toute la grandeur. Elle ne se borne pas à développer l’organisme individuel dans le sens marqué par sa nature, à rendre apparentes des puissances cachées qui ne demandaient qu’à se révéler. Elle crée dans l’homme un être nouveau.

Cette vertu créatrice est, d’ailleurs, un privilège spécial de l’éducation humaine. Tout autre est celle que reçoivent les animaux, si l’on peut appeler de ce nom l’entraînement progressif auquel ils sont soumis de la part de leurs parents. Elle peut bien presser le développement de certains instincts qui sommeillent dans l’animal, mais elle ne l’initie pas à une vie nouvelle. Elle facilite le jeu des fonctions naturelles, mais elle ne crée rien. Instruit par sa mère, le petit sait plus vite voler ou faire son nid ; mais il n’apprend presque rien qu’il n’eût pu découvrir par son expérience personnelle. C’est que les animaux ou vivent en dehors de tout état social ou forment des sociétés assez simples, qui fonctionnent grâce à des mécanismes instinctifs que chaque individu porte en soi, tout constitués, dès sa naissance. L’éducation ne peut donc rien ajouter d’essentiel à la nature, puisque celle-ci suffit à tout, à la vie du groupe comme à celle de l’individu. Au con-