Page:Durkheim - Éducation et sociologie.djvu/93

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tout à fait impropre aux spéculations de la pédagogie. Le maître habile sait faire ce qu’il faut, sans pouvoir toujours dire les raisons qui justifient les procédés qu’il emploie ; inversement le pédagogue peut manquer de toute habileté pratique ; nous n’aurions pas confié une classe ni à Rousseau ni à Montaigne. Même de Pestalozzi, qui pourtant était un homme du métier, on peut dire qu’il ne devait posséder que très incomplètement l’art de l’éducateur, comme le prouvent ses échecs répétés. La même confusion se retrouve dans d’autres domaines. On appelle art le savoir-faire de l’homme d’État, expert au maniement des affaires publiques. Mais on dit aussi que les écrits de Platon, d’Aristote, de Rousseau, sont des traités d’art politique ; et il est certain qu’on ne peut y voir des œuvres vraiment scientifiques, puisqu’elles ont pour objet non d’étudier le réel, mais de construire un idéal. Et pourtant, il y a un abîme entre les démarches de l’esprit qu’implique un livre comme le Contrat social et celles que suppose l’administration de l’État ; Rousseau eût été vraisemblablement aussi mauvais ministre que mauvais éducateur. C’est ainsi encore que les meilleurs théoriciens des choses médicales ne sont pas, il s’en faut, les meilleurs cliniciens.

Il y a donc intérêt à ne pas désigner par un même mot deux formes d’activité aussi différentes. Il faut, croyons-nous, réserver le nom d’art à tout ce qui est pratique pure sans théorie. C’est ainsi