Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/105

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tifs auxquels il correspond. Inversement, la plus grande plasticité des règles purement morales et la rapidité relative de leur évolution démontrent la moindre énergie des sentiments qui en sont la base ; ou bien ils sont plus récemment acquis et n’ont pas encore eu le temps de pénétrer profondément les consciences, ou bien ils sont en train de perdre racine et remontent du fond à la surface.

Une dernière addition est encore nécessaire pour que notre définition soit exacte. Si, en général, les sentiments que protègent des sanctions simplement morales, c’est-à-dire diffuses, sont moins intenses et moins solidement organisés que ceux que protègent des peines proprement dites, cependant il y a des exceptions. Ainsi il n’y a aucune raison d’admettre que la piété filiale moyenne ou même les formes élémentaires de la compassion pour les misères les plus apparentes soient aujourd’hui des sentiments plus superficiels que le respect de la propriété ou de l’autorité publique ; cependant, le mauvais fils et l’égoïste même le plus endurci ne sont pas traités en criminels. Il ne suffit donc pas que les sentiments soient forts, il faut qu’ils soient précis. En effet, chacun d’eux est relatif à une pratique très définie. Cette pratique peut être simple ou complexe, positive ou négative, c’est-à-dire consister dans une action ou une abstention, mais elle est toujours déterminée. Il s’agit de faire ou de ne pas faire ceci ou cela, de ne pas tuer, de ne pas blesser, de prononcer telle formule, d’accomplir tel rite, etc. Au contraire, les sentiments comme l’amour filial ou la charité sont des aspirations vagues vers des objets très généraux. Aussi les règles pénales sont-elles remarquables par leur netteté et leur précision, tandis que les règles purement morales ont généralement quelque chose de flottant. Leur nature indécise fait même que très souvent il est difficile d’en donner une formule arrêtée. Nous pouvons bien dire d’une manière très générale qu’on doit travailler, qu’on doit avoir pitié d’autrui, etc. ; mais nous ne pouvons fixer de quelle façon ni dans quelle mesure. Il y a place ici par consé-