Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est encore un acte de vengeance, puisque c’est une expiation. Ce que nous vengeons, ce que le criminel expie, c’est l’outrage fait à la morale.

Il y a surtout une peine où ce caractère passionnel est plus manifeste qu’ailleurs ; c’est la honte qui double la plupart des peines et qui croit avec elles. Le plus souvent elle ne sert à rien. À quoi bon flétrir un homme qui ne doit plus vivre dans la société de ses semblables et qui a surabondamment prouvé par sa conduite que des menaces plus redoutables ne suffisaient pas à l’intimider ? La flétrissure se comprend quand il n’y a pas d’autre peine ou comme complément d’une peine matérielle assez faible : dans le cas contraire, elle fait double emploi. On peut même dire que la société ne recourt aux châtiments légaux que quand les autres sont insuffisants ; mais alors pourquoi les maintenir ? Ils sont une sorte de supplice supplémentaire et sans but, ou qui ne peut avoir d’autre cause que le besoin de compenser le mal par le mal. C’est si bien un produit de sentiments instinctifs, irrésistibles, qu’ils s’étendent souvent à des innocents ; c’est ainsi que le lieu du crime, les instruments qui y ont servi, les parents du coupable participent parfois à l’opprobre dont nous frappons ce dernier. Or les causes qui déterminent cette répression diffuse sont aussi celles de la répression organisée qui accompagne la première. Il suffit d’ailleurs de voir dans les tribunaux comment la peine fonctionne pour reconnaître que le ressort en est tout passionnel ; car c’est à des passions que s’adressent et le magistrat qui poursuit et l’avocat qui défend. Celui-ci cherche à exciter de la sympathie pour le coupable, celui-là à réveiller les sentiments sociaux qu’a froissés l’acte criminel, et c’est sous l’influence de ces passions contraires que le juge prononce.

Ainsi la nature de la peine n’a pas essentiellement changé. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le besoin de vengeance est mieux dirigé aujourd’hui qu’autrefois. L’esprit de prévoyance qui s’est éveillé ne laisse plus le champ aussi libre à l’action