Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avons-nous dit, qu’elle est organisée ; mais en quoi consiste cette organisation ?

Quand on songe au droit pénal tel qu’il fonctionne dans nos sociétés actuelles, on se représente un code où des peines très définies sont attachées à des crimes également définis. Le juge dispose bien d’une certaine latitude pour appliquer à chaque cas particulier ces dispositions générales ; mais, dans ses lignes essentielles, la peine est prédéterminée pour chaque catégorie d’actes délictueux. Cette organisation savante n’est cependant pas constitutive de la peine ; car il y a bien des sociétés où celle-ci existe sans être fixée par avance. Il y a dans la Bible nombre de défenses qui sont aussi impératives que possible et qui cependant ne sont sanctionnées par aucun châtiment expressément formulé. Le caractère pénal n’en est pourtant pas douteux ; car, si les textes sont muets sur la peine, en même temps ils expriment pour l’acte défendu une telle horreur qu’on ne peut soupçonner un instant qu’il soit resté impuni[1]. Il y a donc tout lieu de croire que ce silence de la loi vient simplement de ce que la répression n’était pas déterminée. Et en effet, bien des récits du Pentateuque nous apprennent qu’il y avait des actes dont la valeur criminelle était incontestée, et dont la peine n’était établie que par le juge qui l’appliquait. La société savait bien qu’elle se trouvait en présence d’un crime ; mais la sanction pénale qui y devait être attachée n’était pas encore définie[2]. De plus, même parmi les peines qui sont énoncées par le législateur, il en est beaucoup qui ne sont pas spécifiées avec précision. Ainsi, nous savons qu’il y avait différentes sortes

  1. V. Deutér., VI, 25.
  2. On avait trouvé un homme ramassant du bois le jour du sabbat : « Ceux qui le trouvèrent l’amenèrent à Moïse et à Aaron et à toute l’assemblée, et ils le mirent en prison, car on n’avait pas encore déclaré ce qu’on devait lui faire. » (Nombres, XV, 32-36.) — Ailleurs, il s’agit d’un homme qui avait blasphémé le nom de Dieu. Les assistants l’arrêtent mais ne savent pas comme il doit être traité. Moïse lui-même l’ignore et va consulter l’Éternel. (Lev., XXIV, 12-16.)